Douglas Range

Décaler le pied droit, juste sous la main droite, s’assurer de l’appui, solide, oui, OK, souffler.
Serrer la main gauche, fort, non plus fort, les épines me rentrent dans la paume, aie, qu’importe. Main gauche verrouillée, pousser sur pied droit, translation verticale, garder le bassin colle à la paroi, on pousse encore sur le pied droit.
La main cherche, elle tâtonne, une prise, une anfractuosité, une racine, n’importe quoi… j’ai enroulé les doigts autour, ça semble solide, je verrouille.
On souffle, on pousse, on avance, garder le bassin colle à la paroi, toujours.
Merde, prise main droite glisse, main gauche se cramponne, tétanise.
Le souffle se coupe, le corps tombe, au ralenti, le cœur accélère, en dessous, le vide…

Mais comment me suis-je retrouvé ici !? Comment, moi, qui aime tant la vie, aime en prendre soin, la câline et la cajole, comment moi qui me targue de mesurer les risques me suis-je retrouvé à escalader une falaise en chaussures de randonnées ?

Le contexte ?
Mon départ de Nouvelle-Zélande approche, une balade en bateau est bientôt prévue, du genre de celle qui emmène à l’autre bout du monde.
Et horreur, en presque un an ici, je me rends compte que je n’ai jamais fait de grandes randonnées, je ne suis jamais allé jouer dans les montagnes. Attendez, ce qu’ils appellent les Great Walks, j’ai essayé, mais suivre des caillebotis de bois à travers la forêt et les montagnes, se retrouver parfois à la queue leu leu dans les endroits les plus escarpes, pour finalement ne jamais se perdre… très peu pour moi !
Et ça tombe bien, j’ai un colocataire, Daniel, sportif un peu fou, aventureux et explorateur qui a le même genre d’envies que moi.

Alors voilà, avant mon grand départ, 10 jours de randonnées dans les montagnes, en autonomie, cartes, boussole et couteau, émerveillements et galères, couchers de soleil et levers de lune, nous sommes tombés d’accord sur le programme.
Ne reste plus qu’à trouver la belle !

Premier choix, Dusky track, la randonnée dans la nature par excellence, à des centaines de kilomètres de toute vie, à travers les massifs de l’ile du sud, de fjord en fjord, de dénivelé impressionnant en vue somptueuse. Pour y aller, il faut se faire déposer de l’autre cote d’un lac, et à partir de là, 8 a 10 jours de marche en totale autonomie, avec peut-être la chance, d’apercevoir la nuit des aurores australes ! Byzance n’est-il pas !?
Problème, après quelques échanges de courriels avec les rangers du coin ceux-ci m’annoncent que beaucoup de neige est déjà tombée et que les avalanches commencent. Je vous l’ai dit, aventureux, pas suicidaire. Mais je reviendrais !

La recherche s’intensifie, le site du Doc nous propose plusieurs options, jusqu’à ce qu’une retienne notre attention, à vrai dire, c’est la seule qui n’a pas d’itinéraire, de cartographie précise, mais juste un point de départ et d’arrive, avec en chemin des points de passages, épars.
Des lignes de crêtes à suivre, des sommets à franchir et des rivières tout le long pour boire. (Porter 10 jours de nourriture, oui, 10 jours d’eau, non !)
Le petit nom de la belle :
Douglas Range et une vue détaillée du trajet a parcourir : ici

Alors voilà, nous l’avons trouvé, reste maintenant à savoir comment nous y rendre, quel matériel prendre, comment y aller, étudier la carte, et ma foi, se mettre en marche.

Y aller ?
Un vol au départ d’Auckland a destination de Nelson, 50 dollars aller-retour, parfait.
De Nelson, en temps normal diverses compagnies de bus assurent des rotations jusqu’à Golden Bay et plus particulièrement Takaka, mais de Takaka il nous faudra encore nous rendre a Collingwood, dernière grande ville avant la campagne profonde. Par grande, il faut entendre, une rue, un petit magasin d’alimentation, un pub et un motel pour passer la nuit. Ce sera notre premier objectif.
Mais de Collingwood nous aurons encore à nous rendre à Bainham et de là à l’extrémité de James Road, ou devrait se trouver le début de notre randonnée, distance à couvrir, 20 kilomètres.
Problème ? C’est l’hiver, la plupart des motels sont fermes, les compagnies de bus idem, et nous comptons en grande partie sur la chance pour nous permettre de rallier notre destination en faisant de l’auto-stop. Croisons les doigts.

Quel matériel ?
Le moins possible, nous voulons-nous déplacer rapidement, il nous faudra donc être légers.
Pour cela, chasse au superflu, partage des poids et estimation précise de nos besoins.
–une paire de chaussures de marche
— une paire de chaussures légère pour le soir
— un duvet chaud (les températures nocturnes prévues seront entre -5 C et – 10 C)
— une tenue « journée », un boxer, une paire de chaussettes légères, un short a séchage rapide, un t-shirt respirant, un surpantalon de pluie, une veste de pluie, une casquette
— une tenue « soirée », un collant en laine, un boxer, une paire de chaussettes chaude, un t-shirt en mérinos, une doudoune légère en plume, un bonnet
— une trousse de secours composée de bétadine gel, steristrip, pansements pour ampoules, fonx (talc antibactérien), crème solaire, gel désinfectant, couverture de survie, pastille purificatrice d’eau
— un kit de utile, couteau, frontale, cuillère, bol dépliable, briquet, camel back de 2 litres, 8 mètres de bout d’escalade en 2 mm, une boussole, un jeu de carte sous plastique, une batterie supplémentaire, un appareil photo, un passeport, une carte bancaire, 40 $ en cash, un sac plastique épais dans lequel mettre nos affaires si nous devons traverser des cours d’eau, un tapis de sol gonflable pour dormir dans les huttes sans matelas
— une trousse de toilette, sans trousse et réduite au possible, brosse a dents, dentifrice, savon biologique, gant de toilette (pratique pour se laver dans 5 centimètres d’eau)
— de quoi manger pendant 10 jours. Nos repas du midi et du soir seront à base de nourriture lyophilisée (20 sachets), 6 sachets de soupe instantanée pour les haltes matinales ou les petits creux, 20 barres énergétiques chocolatées (une par jour et par personne), 10 sachets de thé, un petit paquet de café, 2 bananes, 2 pamplemousses, 4 pommes, 1 kilogramme de fruits secs repartis en deux sacs de 500 grammes, un brûleur rapide, une cartouche de gaz de 400 grammes. Oui, les derniers jours nous ne ferons que rêver à de la vraie nourriture, solide et consistante…
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Où dormir ?
Le DOC, Department Of Conservation, organisme charge de la mise en valeur et de la protection de la faune et de la flore a construit à travers la Nouvelle-Zélande un réseau de refuges. Les plus spartiates ne sont constituées que de 4 murs et d’une magnifique vue sur les étoiles, les plus élaborées ont l’eau chaude, des plaques de cuissons à gaz et tiennent plus du chalet que du refuge.
Celles que nous croiserons en chemin ?
Boulder Lake Hut, 5 $ la nuit, poêle a bois, lits superposes et matelas.
Adélaïde Tarn Hut, gratuite, 4 lits superposes.
Lonely Lake Hut, gratuite, 3 lits superposes.
Cobb Hut, gratuite, 4 lits supersposes, matelas
Trilobite Hut, 5 $ la nuit, poêle a bois, 12 lits supersposes et matelas.
Mais, vous me direz, il n’y a que 5 refuges, soit 5 nuits, alors pourquoi partir avec de la nourriture pour 10 jours ?
Simple, nous tablons sur un ou deux jours pour nous rendre au départ de la randonnée par nos propres moyens, puis une fois arrive au dernier refuge, nous aurons encore 36 kilomètres, pour longer le lac, traverses une autre montagne et finalement rejoindre la route principale d’où nous pourrons faire du stop et espérer regagner la civilisation, soit un et deux jours supplémentaires. Ce qui porte à 9 jours en étant large. Le jour « extra » de nourriture nous servant de marge de sécurité ou de gros petit déjeuner pour les jours où nous en aurions besoin.
Et bien que dire ? nous sommes prêts ! il est 6 h du matin, l’avion nous attend, en route !
50 minutes de vol jusqu’à Nelson, 7 kilomètres de marche pour nous rendre de l’aéroport au centre-ville, lieu où nous achetons notre bouteille de gaz, voila de quoi nous mettre en jambe.
Un passage par le site du DOC, nous y achetons des tickets pour dormir dans les huttes payantes que nous rencontrerons en chemin.
À tout hasard nous demandons a la personne de l’accueil s’il y a un moyen de nous rendre dans la direction qui nous intéresse, oui, bingo, une navette part en début d’après-midi pour Takaka, pas notre terminus, mais nous avons toujours la possibilité de faire du stop par la suite.

La chance sourit aux opportunistes… (jour 1)
Nous discutions avec le chauffeur, lui demandant si contre une rallonge monétaire celui-ci pouvait nous déposer a Collingwood, lieu ou nous comptions passer la nuit.
Il accepte, parfait.
Mais quelle ne fut notre surprise une fois arrive a Takaka, de nous faire offrir un transport, par le gérant de la société, et ce jusqu’à notre motel de Collingwood… car nous l’apprendrons en arrivant, son frère est aussi propriétaire du dit motel…

Un départ sous la pluie (jour 2)
6 h, réveil, brossage de dents, dernière douche chaude, il pleut, dommage !
Le soleil n’est pas encore levé, nous engloutissons un petit déjeuner frugal, mais chaud, un luxe.

6 h 45, nous partons a l’assaut de la route, 20 kilomètres a parcourir dans une région semi-désertique, nos chances de faire du stop sont plutôt réduites, nous aimerions profiter du ballet des ouvriers agricoles se rendant a leur travail pour espérer obtenir un transport.

8h30, enfin une voiture s’arrête, plus d’une heure que nous marchons sous une pluie battante, nous sommes trempés et accueillons cette cabine chaude — et sèche ! – comme un réconfort.
Les montagnes autour de nous sont noyées dans la brume, des éclaircies éparses nous font miroiter les sommets, mais nous gardons le moral, la nature est magnifique.

9 h, qu’est-ce que ça va vite en voiture, nous voici presque arrive au départ de la randonnée, 5 petits kilomètres a parcourir sur un chemin de terre et nous y serons. Mais voilà, notre chauffeur, habitant du coin, nous déconseille fortement de partir aujourd’hui, trop de pluie et de nuages, dangereux, il nous met en garde, nous trouve même une chambre chez l’habitant avec vue sur les nuages, nous encourage a rester au chaud, a partir peut être demain, ou plus tard…
Nous sommes dans cette chambre chaude, l’eau dégoulinant de nos vêtements, les jambes un peu fatiguées, flageolantes, une douce torpeur nous envahit, doucement, c’est vrai que la vue est sympa, que le lit a l’air chouette, et qu’ici il faut chaud… et sec… et puis il y a des fruits….
Mais à ce rythme-là on ne partira jamais, on n’arrivera jamais, et puis renoncer ou tout du moins reculer notre aventure d’un jour, quelle déception, alors ni une ni deux, nous remettons notre sac sur l’épaule et nous élançons vers l’extérieur, vers les montagnes, la pluie et les nuages… ce soir nous dormirons dans la brume ! En route !

10 h 30, nous y sommes, enfin, au départ de notre balade !
Nous avons une vingtaine de kilomètres dans les pattes, 13 kilogrammes sur le dos, et 7 à 8 heures de marche devant nous, mais quelle vue !

13 h, pause repas, sous une pluie battante, trouver un lieu sous lequel abriter le réchaud, détendre les jambes, boire, un coup d’œil sur la carte, estimation du temps parcouru/restant à parcourir, manger, boire encore, égoutter nos vêtements, refaire notre sac, à peine 15 minutes, nous faisons une course contre la pénombre, pas le temps de traîner !

13 h 40, flouch, flouch, flouch, ça y est, nos chaussures sont trempées, 20 minutes que nous pataugeons dans l’eau, c’était a prévoir.

15 h 20, aller, au prochain sommet, on fait une pause, ah mince, encore un autre, puis un autre, ils se dévoilent les uns après les autres, les bougres !
1 heure que nous marchons dans cette purée de pois, la visibilité n’est que d’une cinquantaine de mètres, mais nous suivons les repères, de loin en loin, sans avoir aucune idée d’où nous sommes si ce n’est sur le bon chemin.

16 h 30, là-bas, si là-bas, un lac, regarde, et la, tu pars de la rive droite, 20 centimètres sur la gauche, un point blanc, le vois-tu ? Allez dis-moi que ce n’est pas que moi, un point blanc, comme une construction, serait-ce notre refuge ? Dis oui, dis-moi que je ne suis pas fou et que bientôt nous serons a l’abri de la pluie, d’autant plus que le soleil, doucement, descend à l’horizon.
Nous voilà en train de dévaler la montagne, de courir, de survoler les crevasses, de bondir par-dessus les ruisseaux, de sauter dans les cascades, s’accrochant aux branches pour ralentir les chutes, nous sommes dans un état second, là-bas, c’est bien notre refuge !
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17 h 30, nous y sommes, fourbus, uses et trempes, mais heureux. Dans moins d’une demie heure il fera nuit, pas le temps de chômer, il nous faut trouver du petit bois et des buches, les mettre à sécher à l’intérieur, fendre celle qui sont dans le refuge et déjà sèche, allumer le poêle, étendre nos affaires et les sécher…. C’est une seconde course qui se joue maintenant !

Nuit, le poêle chauffe, la nature bruisse, les étoiles brillent, nos vêtements sèchent, nous revenons de notre bain dans un ruisseau glacé, propre.
Nous ne prendrons qu’à peine le temps de nous nourrir, d’étudier le parcours du lendemain que nous nous endormirons, ravi.
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Noyé dans la brume ! (Jour 3)
nous avons failli rater le lever du soleil, une nuance de gris différente, un reflet de lumière dans les brins d’herbe, voilà qui nous avertit de son lever.
Tout autour de nous, les sommets sont perdus dans le brouillard, si hier nous pouvions suivre des repères humains, notre prochaine étape se fera en suivant des repères naturels… dangereux en cas de visibilité réduite.
Nous choisirons donc de rester ici pour la journée.
Lire, écrire, sécher nos affaires, explorer les alentours, reconstituer le stock de bois, les choses a faire ne manquent pas dans la nature…

Perdu dans la lumière (jour 4)
Quel contraste avec hier, le lever de soleil est aveuglant, la nature semble revivre, tout autour de nous, comme sortie d’une longue catalepsie, c’est magnifique, explosions de fleurs et de couleurs !
Nous nous mettons en marche, le pas léger, les pieds secs, le sourire aux lèvres, aujourd’hui 5 a 6 heures de marche, direction Adélaïde Tarn Hut.

À peine 20 minutes que nous sommes partis et déjà une rivière nous barre la route, nos chaussures ne seront pas restées sèches longtemps !

D’un pas rapide nous gravissions les sommets, longeons les crêtes, courant parmi les roches qui ravinent, ce soleil nous requinque, nous sommes comme deux enfants, heureux. D’ailleurs nous trottinons plus que nous marchons, nous courons plus que nous respirons, nous dévorons littéralement le paysage des yeux et la distance de nos foulées.

3 h 30 plus tard, nous y somme, déjà !
Accolé au lac, le refuge nous attend, petit, spartiate, vieux d’une quarantaine d’années, on dirait une capsule Soyouz écrasée en quelques lieux perdus. L’aluminium de l’isolation s’effiloche, le grillage qui sert a le retenir est tordu de partout, rouille par endroit, mais qu’importe, c’est un toit au-dessus de nos têtes, une promesse de repos a venir.
La cascade est toute proche, son bruit nous berce, nos chaussures sèchent au soleil, nous nous lavons prestement dans la rivière pour évacuer la sueur, profiter de cette après-midi de soleil et nous détendre.

Fin d’après-midi, en farfouillant dans les documents laissés par les précédents visiteurs nous tombons sur une information fantastique, pour notre journée de demain, il existerait une route alternative, non pas seulement par le fond de la vallée, sous le couvert des arbres et à travers moult rivières, mais par les crêtes et les piques, par les versants et les falaises, de quoi nous garantir une journée de soleil, sèche et surtout une vue magnifique !
Nous lisons en détail les explications, regardons les photos, celle qui a écrit ça semble jeune, sportive, 25/30 ans, souriante, réjouie.
Il semblerait que ce soit un groupe d’une vingtaine de personnes qui ait fait le chemin, ils avaient des cordes au cas ou, mais ne s’en sont pas servis. Elle parle de quelque chemin « maladroit » et glissant, de certains passages délicats, nous en rigolons…


Ils ont fait ça en deux étapes, 5 heures pour la première, et 6 pour la seconde. Selon ses dires, un groupe plus petit pourrait faire le chemin bien plus rapidement.
Les photos sont magnifiques, ses mots dithyrambiques, nous rêvons éveillés.
Soupesons le pour et le contre, la dangerosité et l’excitation, nous reportons notre décision au lendemain matin, au vu de notre état de fatigue et surtout de la météo…
Il nous sera dur de trouver le sommeil cette nuit, nous rêvons d’aventure et les étoiles éclairent les montagnes comme en plein jour.

 

Sur les dents du dragon (jour 5)
Quel que soit le chemin que nous choisirons aujourd’hui, une grande journée nous attend, de 8 a 10 heures par la vallée, de 9 a 11 par les crêtes, aussi, si nous ne voulons pas nous retrouver piégés par l’obscurité nous avons décidés de nous lever tôt, très tôt, avant même le lever du soleil.

Une petite demie heure de marche et nous y sommes, l’heure des choix, sur notre gauche, en contrebas et près du lac, le lieu d’où nous venons, à droite, la vallée et son humidité, tout à droite, la ligne de crête et ses ascensions maladroites.
Il fait beau, nous sommes en forme, confiant, peut être trop… à droite toute capitaine !
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30 minutes que nous alternons marche et course pour rendre cette étape la plus courte possible, un champ d’ardoises se dresse devant nous, équilibre instable, encore couvert du givre de la nuit, c’en fait une vraie patinoire, nous progressons doucement sur 3 appuis, tachant de ne pas glisser, l’à pic est à une centaine de mètres.

Tiens, les marqueurs rouges à suivre s’arrêtent, où est le prochain ?
Nous nous trouvons devant une corniche de 7 mètres de long pour 10/15 centimètres de profondeur, à droite, la roche et des racines, quelques aspérités dans la falaise…
à gauche, rien, enfin si, beaucoup de rien, à savoir du vide.
Serait-ce le fameux passage « maladroit » ?
Daniel se défait de son sac, me le tend, j’assure ma position dans la roche, le voilà parti…
Le temps me semble interminable
Puis j’entends sa voix, il me cri qu’il y a de l’autre cote un petit repère, petit carre rouge, nous sommes sur la bonne piste.
Une fois passé, nous en rigolons, ça y est, premier passage maladroit, facile ! Si nous avions su…
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Nous nous sommes perdus, reperdus, avons gravi des combes pour nous retrouver face à des précipices, ah non, mauvaise route…
Le temps passait inexorablement et nous ne semblions pas nous rapprocher.

Cela faisait maintenant 15 minutes que nous remontions le lit de ce torrent, la paroi s’inclinait de plus en plus, nous cherchions partout du regard ces cairns, empilement de pierres nous indiquant la piste, mais parmi toutes ces pierres qui ravinent et ces éboulements, impossible d’en apercevoir la moindre trace. Et nous le savons, l’esprit humain en situation de stress a tendance a imaginer et voir ce qu’il lui plait…

Hum, je pense que ce n’est vraiment pas le bon chemin, je le crie à Daniel qui est resté avec les affaires, une trentaine de mètres en contrebas, 15 minutes que je cherche mes prises pour grimper sur ce piton rocheux, en espérant, stupidement, y trouver un signe, n’importe quoi…
Mais il faut se rendre à l’évidence, là je fais plutôt de l’escalade, et si la vue est magnifique, j’ai plutôt l’impression d’être à l’assaut de quelques forteresses montagnardes que de faire une randonnée.
Redescendons, doucement, ça serait dommage de glisser…

Ma main droite ne me retient plus à rien, ma main gauche se cramponne à ce qu’elle trouve, serre à m’en faire blanchir les jointures, je me plaque par réflexe à la falaise, j’ai l’impression de sentir mes pieds glisser, je n’ose plus respirer.
Daniel, Daniel que je crie, Daniel, Help.
Une tête apparait au-dessus de la corniche, son éternel sourire enfantin, il me lance sa main et d’une traction me ramène à côté de lui. Mais où donc sommes-nous ?
Dans le passage « maladroit », le vrai et le seul à n’en pas douter, voila 20 minutes que nous grimpons à flanc de falaises et quand nous essayons de voir jusqu’où cela mène, même en nous tordant le cou nous ne voyons que la falaise au-dessus de nous.
Cette ascension nous prendra encore une bonne heure, entrecoupée par les appels de Daniel ou des miens, un pied qui glisse, une main qui lâche, mais une volonté de fer, ne pas tomber !

Ça y est, enfin ? Devant nous, plus de falaises, nous regardons en contrebas l’à pic que nous venons de gravir, impressionnant, et devant nous, dans la lueur du soir, un cairn, qu’il est beau, nous sommes sur la bonne route, nous sommes sains et saufs, mais nous ne sommes qu’a la moitié du chemin, peut-être une heure avant la nuit, pas plus.
Alors nous courrons, nous filons comme le vent, avec nos derniers espoirs, il devrait y avoir un site protégé par ici, un lieu pour camper, certes, nous n’avons pas de tente, mais si nous pouvions être un tant soit peu a l’abri du froid, du vent et de la pluie… nous sommes quand même en hiver, par 1600 mètres d’altitude, et si ici il ne neige pas encore, la nuit il gèle !

Diantre, plus aucun cairns autour de nous, nous ne savons pas quelle direction prendre, c’est une course contre la montre, contre la nuit.
Là-bas, une paroi verticale, au sol c’est à peu près horizontal, rien pour nous couvrir de la pluie aux alentours. Nous préparons notre bivouac, des herbes arrachées par pelletées pour l’isolation thermique et le confort, nous mettons par dessus un de nos tapis gonflables, le second nous servira de dossier contre la falaise et si besoin de pare-vent.
De l’eau a bouillir, le but, garder notre chaleur le plus longtemps possible, un repas chaud, remplir la thermos d’eau chaude, pour en avoir si nous avons trop froid pendant la nuit, garder la bouteille de gaz dans notre duvet pour ne pas qu’elle devienne trop froide et qu’il nous soit impossible de s’en servir le lendemain. S’emmitoufler dans des couches et des couches, finir par notre sac poubelle qui devait nous servir à traverser des rivières, par bonheur, il est assez grand pour contenir notre corps.
Voilà, nous sommes prêts, au chaud, à peu près étanche, rideau !
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Drunken Sailor (jour 6)
Coucher de soleil, ballet d’étoiles, lever de lune, l’herbe autour de nous blanchit et devient crissante, la voie lactée comme nous ne l’avons jamais vu, s’assoupir, se réveiller, geler, se coller l’un a l’autre pour ne pas avoir trop froid, s’hydrater régulièrement, se perdre dans les étoiles, encore. Frictionner son corps, s’endormir, se réveiller, les étoiles sont toujours la, la lune aussi. Regarder le lever du soleil, enfin !
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Nous avons survécu, nous fumes chanceux, il n’a pas plu !
S’étirer, étirer son corps endolori par la nuit, sourire au soleil, se réchauffer à sa douce chaleur, enfiler ses chaussures glaciales et gelées par la nuit.
Un petit déjeuner chaud, énergétique, et nous voici repartis. Nous devons retrouver notre piste, nous cherchons nos repères, nos cairns ! Ça ne devrait pas être trop dur, à gauche en aval, à 300 mètres, le vide, à droite en amont, à 100 mètres, la falaise, devant nous, parmi ce relief accidente, notre ticket de sortie !

30 minutes que nous les cherchons, quand enfin, j’en vois un, il se dessine sur la roche, mon cri troue le silence, Daniel accourt, exulte, heureux que nous sommes, nous avons une piste !
Puis nous ne ferons que crier Cairn, Cairn pendant les prochaines heures, nous réjouissant de ce mot, de cette trace qui apparaît devant nous, de cette promesse, d’enfin sortir de ce labyrinthe !

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le voyez vous, ce petit cairn, au loin ?

Il nous nargue, au loin, the drunken sailor — la montagne à l’aplomb de notre refuge — lui qui ne semble jamais se rapprocher, a chaque ligne de crêtes que nous franchissons, en espérant que ce soit la dernière, une nouvelle se fait jour.

12 h, nous y sommes, il est là, nous sommes sortis de la montagne, tout du moins de sa partie « délicate », nous savons qu’a moins d’une heure de marche se trouve notre refuge. Nous sommes affamés, mais décidons de mettre les bouchées doubles.
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12 h 30, le refuge est là, en plein soleil. Nous mettons nos affaires à sécher, étendons en grand nos duvets mouillés par la nuit, nous restaurons, lavons, et profitions de chaque instant de calme et de soleil. Détente et repos pour cette après-midi.

2 en 1 (jour 7)
Ici, nous pouvons voir qu’il y a eu du passage, nous suivons une piste, presque nette, des branches cassées, parfois des empreintes, souvent un sillon dans la terre abandonne par de nombreuses paires de chaussures. Rapide et facile. Nous passons la majeure partie de la matinée à trottiner, ne ralentissant que dans les montées ou sur les passages gelés. Après nos deux dernières journées, tout cela nous semble étonnamment facile.
Nous nous déplaçons sur les lignes de crêtes, c’est curieux à voir, la partie au soleil est chaude et agréable, celle à l’ombre, froide et encore gelée, que de beaux contrastes !

14 h, nous y sommes, Fenella Hut, déjà !
Nous nous interrogeons, se reposer ici, profiter de l’après-midi ou alors enchaîner avec une deuxième étape, une qui nous mènera proche du lac, lac d’où nous aurons toujours à  trouver un moyen de nous échapper, 36 kilomètres après ce que nous venons de faire, nous aimerions un peu de facilité !
Nous venons de voir que dans le carnet de bord du refuge, 3 personnes ont dormi ici la nuit dernière, avec un peu de chance, ce soir ils dormiront au refuge se trouvant sur le lac, voilà qui pourrait faire nos affaires !

Un panneau l’indique, Trilobite Hut, 12 kilomètres ou 4 h 30… Il ne nous faudra que 1 h 30 pour la rallier, nous n’en revenons pas nous-mêmes ! Hélas, le refuge est vide !
Alors nous explorons les alentours à la recherche d’une voiture, d’une trace de vie, quoi que ce soit…

Là-bas, une voiture qui arrive, que faire, lui sauter dessus ou lui laisser le temps de s’installer ?
Soyons patient, nous buvons notre dernier sachet de thé, puis nous nous dirigeons vers lui.
Bonjour, échanges de civilités, nous nous présentons, lui, Bryan, 27 ans, Canadien, vient d’arriver pour faire un peu de randonnée, nous lui expliquons notre problème, il écoute, attentif, mais nous dit de repasser le lendemain matin, qu’il verra s’il peut ou non nous déposer à la route.

Nous mettrons un temps fou à nous endormir, imaginant tous les scénarios possibles, les tournant et retournant dans notre tête.

un peu plus de 36 kilomètres… (jour 8)
6 h, nous sommes réveillés, excités et anxieux, nous voulons le croiser dès son réveil, s’il ne peut pas nous déposer en dehors de la vallée, nous devrons marcher, beaucoup, alors nous voilà à attendre dans le froid, à boire notre dernière dose de café, à trépigner sur place pour nous réchauffer

8 h, devant nous une curieuse formation nuageuse, je ne pensais jamais en voir de ma vie, les ondes de Kelvin-Helmholtz, comme des vagues de nuages se ruant à l’assaut de la colline, c’est magnifique.
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9 h, qui a dit que les Canadiens se levaient tôt ?!
Enfin, nous voyons la tente s’ouvrir et notre grand échalas dérouler son mètre quatre-vingt-dix dans la fraicheur du matin.
5 minutes plus tard, nous lui présentons notre dernière tasse de café, durement gardée pour lui.
Conciliabule, discussion et… BANCO, le voici qui accepte, en voiture !

36 kilomètres… on pourrait penser cela facile et rapide, que nenni, cela nous prit 1 h 30, c’est que les routes sont tortueuses au possible ! Nous passerons notre matinée a le remercier !

Nous y voilà, 10 h 30 heures, sur la grande route, à gauche, loin, le début de notre aventure, à droite, encore plus loin, Nelson, et notre retour vers la civilisation, nous levons le pouce et nous éloignons doucement de la forêt…

 

 

Je n’ai pas su comment en parler dans mon récit, ce qui fut plus contraignant pour nous, plus contraignant que l’effort, la fatigue ou le danger, ce fut la faim.
Une faim comme je n’en avais rarement connu. Notre estomac se creusait au rythme de nos joues.
Nous étions affamés, nous avions de quoi manger, mais devions en garder avec nous, en garder pour les jours suivants, pour être sûr d’avoir assez, pour nous permettre de continuer d’avancer. Quelle supplice que de devoir se restreindre quand on est affamé, la nourriture, voila qui était notre principale occupation.
Lors de nos haltes, le soir, le midi, chaque fois que la faim nous tenaillait et que nous y cédions, coupant en petits morceaux nos carrés de chocolat, nos barres énergétiques, tout, nous les faisions durer le plus longtemps possible, ramassant la moindre miette tombée au sol. Nous délectant de cette énergie qui affluait soudainement dans notre organisme, s’enivrant de cette sensation. Manger n’a pour moi rarement était aussi magique !

Autre chose, que nous n’avions pas prévu, si la nourriture déshydratée est légère à transporter, pratique, elle n’apporte pas de sensation de satiété, elle laisse l’impression d’un estomac vide, d’une digestion inexistante. Peut-être avions nous, certes, nos besoins nutritifs comblés mais nous rêvions, repas après repas, de quelque chose de dur, de solide à se mettre sous la dent !

Le sois au coin des étoiles, nous parlions avec délice de ce que serait notre premier repas de retour à la civilisation….
P1020302 (Personnalisé)

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